Du coupon papier au code électronique

Le coupon papier à l’ancienne

Il était une fois ma grand-mère, qui savait faire un excellent pot-au-feu et qui avait, en plus, dans sa cuisine, une boîte à biscuits en fer au décor un peu abîmé, remplie de morceaux de papiers de couleurs vives. A chaque fois qu’elle allait faire ses courses, j’étais chargée de trier le contenu de la boîte. Certains coupons devaient être collectionnés et collés sur une feuille pour permettre d’obtenir le cadeau ou la réduction souhaitée, d’autres avaient une date de fin de validité à ne pas dépasser, d’autres n’étaient “pas cumulables”.

Femme découpant des bons de réduction.

Séquence travaux manuels pour collectionner les bons de réduction. Ça vous parle ?

Au retour des courses, j’étais à nouveau chargée de découper les bons qui se trouvaient sur les emballages, en séparant bien ceux qui pouvaient être remis en caisse lors d’un prochain achat de ceux qui devaient être envoyés (avec promesse de remboursement des frais d’envoi) ; avec mes cousins et cousines, nous nous partagions la tâche de feuilleter les journaux pour y trouver d’autres bons de réduction, mais nous devions demander l’autorisation de les découper. Il ne fallait pas endommager une feuille dont ma grand-mère n’aurait pas lu le verso, surtout s’il affichait le dernier épisode du feuilleton romanesque de l’année.

Bref, la gestion des bons de réduction était familiale, manuelle, prenait bien du temps, et j’avoue ne même pas imaginer ce que cela représentait côté vendeur, avec les coupons émis par les magasins, par les marques… un véritable soutien à l’industrie de la colle et des ciseaux.

En marketing direct traditionnel et en Vente Par Correspondance

Un certain nombre d’années plus tard, chez un des géants de la VPC, j’ai découvert l’envers du décor et ce qui se passait côté vendeur. Vingt ans avaient passés depuis mes travaux manuels, l’informatique était arrivée, le coupon commençait à se dématérialiser. Lorsque le client commandait en VPC, il n’avait plus rien à découper ou coller, il lui suffisait de rajouter à la main, sur son bon de commande, un code inscrit dans le catalogue correspondant à l’offre qu’il choisissait. Nous faisions cela pour le forcer à bien percevoir la valeur de la réduction ainsi offerte, car, en réalité, le programme de traitement des commandes était parfaitement capable d’identifier les réductions possibles et de choisir la plus avantageuse.

C’était d’ailleurs le processus appliqué en boutique, où la caisse calculait le meilleur prix possible sur présentation de la carte de membre du club. Seuls certains coupons, réservés aux nouveaux clients, devaient être présentés.

Car nous avions la chance d’avoir un fichier client, et de ne vendre qu’aux membres enregistrés sur ce fichier, ce qui nous permettait d’identifier avec une précision parfaite les clients qui étaient sensibles aux bons de réductions, les taux d’utilisations et d’estimer à peu près correctement l’impact de chaque action commerciale en terme de chiffre d’affaires.

Utilisation des coupons dans un grand magasin

Situation privilégiée par rapport à la grande distribution. Elle utilisait encore tous ces coupons papiers, à découper sur les catalogues, sur les tickets de caisse, et le grand problème était d’arriver à savoir “qui” utilisait “quel” coupon. Bref, elle n’arrivait toujours pas à identifier correctement ses clients, à faire le lien entre les achats faits à une date ou à une autre.

Or le rêve d’un marketeur, c’est une base de données qui lui donne toutes ces informations, l’âge, la composition de la famille, la couleur du slip et le détail de tous les achats, qui lui explique pourquoi le client a décidé d’acheter tel ou tel produit, si c’est à cause de la campagne de pub à la télé, du bon de réduction glissé dans sa boîte aux lettres (vive les autocollants stop pub) ou la réduction sur le précédent ticket de caisse.

Le bon de réduction sans doute inventé par Coca-Cola avait fait ses preuves depuis longtemps, il permettait d’augmenter le chiffre d’affaires, mais les marketeurs voulaient plus de visibilité.

Internet allait leur donner ces informations. Et même trop…

Le bon de réduction à l’heure du Web : trop de data tue la data

A priori, l’arrivée du Web permettait de réaliser ce rêve : savoir précisément qui utilisait un bon de réduction, et surtout, accumuler des données sur ce client, via son compte pour les boutiques en ligne, via les cookies, via le croisement de base de données.

Tout un business model s’est même monté autour de cela : la startup dont la véritable richesse n’est pas le produit, mais les données qu’il permet d’accumuler. On en arrive maintenant fréquemment à des situations où des start-ups qui font structurellement des pertes sont néanmoins valorisées de façon positive grâce à l’estimation de l’actif incorporel constitué par les fichiers de données. (Il faut rappeler qu’en comptabilité, par souci de prudence, un actif incorporel est valorisé au coût de constitution, dans le cas de fichiers clients qualifiés, ce coût est très largement inférieur au prix de vente potentiel).

Pour beaucoup d’entreprise, la donnée devient le véritable actif

Le Web a donc vu une explosion des données, que les entreprises accumulent directement (cookies, programmes de fidélisation), via l’enrichissement par des fichiers tiers ou l’achat de tels fichiers. Les multiples applis gratuites sur nos téléphones portables permettent de constituer ces fichiers. On peut même se demander si le Pokémon Go, créé par une “start up proche de Google” participe à cette logique d’espionnage via le gratuit.

De plus, la facilité de gestion du bon de réduction informatisé a poussé à la multiplication des offres. Chaque site marchant propose des bons de réductions et des coupons, pour susciter l’achat, pour les clients réguliers, ou même pour récompenser de l’inscription à une newsletter, d’un like Facebook, etc.

Enfin, sont apparus des sites de bons de réduction, qui fonctionnent comme des mega-catalogues, sur le principe de l’affiliation.

Double problème pour les marketeurs :

  • le bon de réduction n’est plus seulement un indicateur de la sensibilité au prix ; il peut être utilisé par des gens qui auraient acheté autrement au prix fort
  • le facteur déclenchant, donc l’estimation de la qualité du support et de l’efficacité de la campagne, est fortement dilué : entre l’information faite par le marchand (comme cette boutique, qui envoie régulièrement via sa newsletter des bons de réduction à ses clients), le retargeting effectué par le marchand lui-même ou par la plate-forme commerciale, comment savoir ce qui a poussé le client à l’achat ?

Pire encore, l’identification du client n’est pas toujours meilleure

Le rêve d’une identification parfaite du client est mort-né. Certes, les cookies, les adresses mails semblaient un bon moyen d’identifier précisément un acheteur. Mais les sources d’approximations sont nombreuses : ordinateurs partagés (en famille, au travail, lieux publics), adresses mails changeantes, voir jetables dans le cadre de la lutte contre le spam, renseignements délibérément faux donnés par les prospects, soucieux de protéger leur vie privée, plus récemment le mode de navigation privée qui se généralise et bloque les cookies tiers.

La qualification d’un fichier se fait donc toujours en croisant les sources. Une étude américaine a prouvé qu’on pouvait identifier une personne avec un taux de réussite de plus de 95% à partir de dix achats en ligne, même en ignorant son numéro de carte de crédit. Il suffisait de pouvoir lui attribuer avec certitude ces dix achats faits sur dix sites différents.

L’apport du smartphone et du push marketing

Un taux d’équipement élevé, particulièrement dans les CSP à haut pouvoir de consommation, et un faible taux de doublon : le smartphone est pour l’instant un des outils qui permettent le mieux d’identifier un consommateur avec précision. Les applis installées, le tracking proposé par les constructeurs sont autant d’outils pour mieux connaitre le propriétaire.

Personnes avec des smartphones

Le smartphone, nouvel outil de collection des bons de réduction

C’est donc maintenant que le coupon de réduction subit sa transformation génétique. Au lieu d’être proposé au client potentiel à un moment où il est peu disponible (comme dans le cas de la publicité) ou bien quand il est dans la recherche du prix le plus bas (comparateurs de prix, recherche de la meilleure boutique sur internet), l’envoi d’une information se fait au moment où le prospect passe à côté de la boutique.

Alors que le taux d’ouverture des emails chute, 75% des utilisateurs de smartphones acceptent les notifications lorsqu’ils installent une application. Des systèmes comme beacon vont très loin, avec des messages prenant en compte le produit qu’ils sont en train de regarder. Or, dans une boutique, le prospect n’a plus la possibilité de rechercher aussi facilement le meilleur prix. Le coupon électronique permet donc, à nouveau, de le faire bénéficier d’un rabais ponctuel sans trop tirer le prix vers le bas.

Le web a-t-il tué le coupon de réduction ?

Maîtrise du prix, maîtrise de l’information et – pour l’instant – raccourcissement de la chaine d’intermédiaires, le push marketing a tout pour plaire aux marques. Sa généralisation risque néanmoins de générer un rejet important, si elle se fait dans l’excès car de telles notifications sont, par nature, nettement plus intrusives qu’un mail. On est bien loin des tous premiers coupons de Coca-Cola cherchant simplement à faire connaître sa boisson !

Étiquette vintage de Coca

C’est en 1886 que Coca-Cola a émis ce qui aurait été le premier coupon de l’histoire